Novembre 2012 - Low cost (suite)

4-11-2012. Free et low cost (suite du 13-10-2012)

Tous ne semblent pas partager mon bel enthousiasme à propos des vertus du modèle low cost et, surtout, à propos des mérites de Free ! Un ami économiste, dont je respecte ici le souhait d'anonymat, a réagi à mon précédent billet du 13-10-2012. La teneur de son commentaire me paraît digne d'être ici partagée et discutée.

En premier lieu, Free pratiquerait un low cost "un peu artificiel", en raison de son accord d'itinérance avec Orange, ce qui éloignerait le marché de l'optimum économique... Soit, pour l'artifice transitoire ! Mais, sinon par un tel accord, comment un nouvel opérateur mobile pourrait-il lancer son service, que celui-ci soit ou non low cost, dans la phase de démarrage où le déploiement de son réseau en propre est encore embryonnaire ? Le régulateur du secteur s'est, me semble-t-il, assuré que Free tient les engagements de sa licence en termes de déploiement et l'Autorité de concurrence n'a pas jusqu'ici, à ma connaissance, dénoncé un accord anticoncurrentiel !

Mon aimable contradicteur me rappelle, en second lieu, le niveau exceptionnel de la valorisation boursière d'Iliad, presque deux fois celle celle de Peugeot et Air France réunis, un niveau qui lui paraît démesuré au regard du poids de Free dans l'économie réelle, en termes d'investissement, d'emploi, comme de contribution à la balance extérieure du pays.

- Il y aurait là, tout d'abord, un signe de l'irrationalité des marchés financiers. Mais si, tout au contraire, les marchés se montraient en l'occurence lucides, en valorisant fortement une entreprise porteuse d'un renouveau managérial et économique ?

- Il y aurait là, ensuite, un effet pervers de la régulation économique du secteur (merci, l'ARCEP !) qui, après avoir stimulé depuis l'ouverture du marché des télécoms une concurrence par les infrastructures, plutôt qu'une concurrence par les services, aboutirait paradoxalement à valoriser le plus l'entreprise qui a investi le moins ! Le paradoxe me paraît ici provenir d'un certain biais dans la formulation de l'argument. Ne serait-il pas plus juste d'affirmer que l'heureuse conjonction d'une régulation favorable à l'investissement et d'une initiative privée dynamique, dont Free est l'un des acteurs importants mais évidemment pas unique, ont permis en quinze ans une transition réussie du monopole au marché ? La société Free, figure emblématique de cette transition, en récolte les fruits.

- Il y aurait là, enfin, un mal de l'économie à la française, qui, à travers la surprenante équation "Free = 2 x (Peugeot + Air France)", érigerait en "success story" une entreprise qui n'est ni industrielle, ni exportatrice ! Sur le premier aspect, difficile tout de même de dénier tout caractère industriel à Free et difficile, surtout, de s'étonner que les success stories d'aujourd'hui concernent des entreprises nées de la révolution numérique plutôt que des entreprises nées de la précédente révolution industrielle ! Et sur le second aspect, les marchés de télécommunications demeurant essentiellement nationaux, les opérateurs de réseaux, même lorsqu'ils sont par ailleurs implantés à l'étranger, écoulent leur offre sur le territoire national et ils ne sont donc pas directement exportateurs, contrairement à des fournisseurs de services ou de terminaux, comme Google ou Apple. Mon ami a donc raison : la success story de Free n'obéit pas au canon de beauté du modèle industriel et exportateur ! Mais alors, d'où provient-elle ?

Réponse : elle réside dans les effets externes, ou "externalités", dans notre jargon d'économistes ! On peut bien-sût discuter de l'importance de ces externalités mais on ne peut entièrement les nier : en innovant avec sa box, en abaissant les prix de l'ADSL, en lançant récemment des offres mobiles low cost, Free a libéré du pouvoir d'achat pour la consommation d'autres biens et services et il a suscité une consommmation pérenne de services télécoms au sein des couches les moins aisées de la population. Free n'est certes pas le seul à engendrer ces effets vertueux "et loin de là !", me souffle mon ami à l'oreille... mais reconnaissons que, bien souvent, il a montré la voie ! Free ne cible pas le marché professionnel et ne contribue donc pas à cet égard à la compétitivité du pays, me souffle-t-on encore ? Oui, c'est vrai, et on peut en revanche fortement se réjouir que certains de ses concurrents soient bien présents sur ce créneau !

Dernière remarque "qui tue" de mon interlocuteur : l'avance de la France sur l'ADSL n'ayant en définitive pas été à la source de beaucoup d'innovations, où se trouve véritablement la success story ? Là, pour le coup, le mal est bien français que celui de battre sa coulpe et de minimiser la réussite ! Je reformulerai quant à moi la remarque sous une version plus positive et proactive : grâce au dynamisme des opérateurs de réseau (et d'une régulation plutôt bien inspirée !), la France a construit et ne cesse de moderniser une "infostructure" fixe et mobile de très grande qualité : elle doit encore faire la preuve d'un égal dynamisme dans la création et le développement de services numériques, domaine dans lequel elle ne manque pas d'atouts.

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