Novembre 2012 - Compétitivité / Innovation

16-11-2012. Compétitivité et Innovation selon Bertand Collomb

Bertrand Collomb, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, ex-CEO de Lafarge, était l'invité d'un petit-déjeuner de l'Académie des technologies, le 14 novembre dernier. À cette occasion, il a fait part de ses vues sur le thème "Compétitivité et Innovation" et brièvement commenté le rapport Gallois, ainsi que l'action du Ministre du redressement productif. Je vous livre, dans un semi-vrac, mes notes prises lors de cet intéressant exposé, agrémentées de quelques réflexions personnelles.

- La mondialisation est la règle. Même pour une entreprise dont la logique est a priori régionale (on transporte rarement du ciment sur plus d'une centaine de kilomètres entre le lieu de production et le lieu de consommation), il est efficace de se mondialiser, de se globaliser, afin de bénéficier d'économies d'échelle de savoir-faire et d'amortir des cycles conjoncturels.

- Pour s'implanter avec succès à l'étranger, que ce soit aux États-Unis, en Inde ou en Chine, une entreprise doit disposer d'une base nationale solide, qui lui permette de tenir bon, le temps nécessaire au franchisssement des obstacles culturels qui retardent la viabilité. Cela prévalait déjà les années 50 lorsque Lafarge s'est implanté aux États-Unis, une époque bénie où le modèle de l'ingénieur à la française apparaissait comme un incontestable label de réussite !

- Dans la compétition économique mondialisée, La France souffre aujourd'hui d'un handicap en matière de R&D privée et d'innovation : elle est plus performante dans les secteurs d'industrie lourde "lourde" que dans la High Tech ! Aux vertus de l'ingénieur français, se seraient-ils substitués les vices du conservatisme, du manque d'ambition et de l'incapacité à innover !

- Il y aurait aujourd'hui 35 000 "robots" en France, contre 60 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Le taux d'informatisation et d'automatisation est donc comparativement faible dans notre pays. Pourquoi ? Nous avons pourtant de bonnes socétés de services informatiques... La raison résiderait dans une résistance au changement et à la réorganisation, plus grande chez nous que chez nos voisins : nous n'utilisons pas les technologies de l'information autant que nous le pourrions et nous le devrions.

- Il existe deux types d'innovations : les innovations d'amélioration et les innovations de rupture. S'agissant du premier type, nous sommes très "bons", mais les Chinois le sont également devenus ; et, s'agissant du second type, les États-Unis ne font que renforcer leur écrasante suprématie, grâce à leur capacité à valoriser le "risque extrême". Ceci contribue à expliquer pourquoi, dans le secteur des télécoms, où nous étions pourtant leaders il ya dix ans, la situation s'est aujourd'hui retournée... Ajoutons que les américains protègent leur marché, alors que les européens l'ouvrent au contraire, et que le manque de cohésion entre grandes sociétés européennes du secteur n'a guère joué favorablement.

- Il existe deux types de compétitivité, coûts et hors coûts. En matière de compétitivité coûts, la France a décroché d'environ 20% par rapport à l'Allemagne depuis 2000. Elle a ainsi perdu une précieuse marge de manœuvre, fortement ressentie en particulier par les constructeurs automobiles nationaux, qui ne peuvent pas, contrairement à leux concurrents d'outre-Rhin, vendre une voiture 20% plus cher sur le seul fondement de sa marque. Quant à la compétitivité hors-coûts (innovation, recherche, entreprenariat), les entreprises françaises éprouvent une certaine difficulté à la financer, disposant d'un taux marge inférieur de 10 points au taux moyen de la zone Euro... Le raisonnement se boucle toutefois, car un effort d'innovation permettrait d'améliorer les marges d'exploitation... et donc le financement de l'innovation.

- Pourquoi les français ont-ils tellement peur de la concurrence, du changement et de la mondialisation ? Est-ce la faute à Colbert, d'une méfiance viscérale vis-à-vis du marché et d'une foi immodérée en l'État-providence ? Est-ce la conséquence perverse d'une défaillance du système éducatif ? Peut-être pour partie... B.C. avance une explication alternative ou complémentaire. Le premier choc pétrolier, en 1975, s'est traduit par un chômage massif (perte de 500 000 emplois)... dont la France n'est jamais sortie depuis, avec un taux de chômage variant entre 6% à 10%. Il en serait résulté une sorte de tétanisation, une frilosité structurelle face à tout changement, perçu avant tout comme une menace pour l'emploi. Chat échaudé craint l'eau froide !

- La non-flexibilité du travail comporte un coût considérable ! Lorsque 100 $ sont délocalisés des États-Unis vers l'Inde ou la Chine, l'opération se traduit par un gain net de 4$ (les - 100 $ sont sur-compensés par + 104 $), car les emplois concernés ne sont pas perdus mais déplacés et car l'économie de coût permise par la délocalisation se traduit par une baisse de prix qui libère du pouvoir d'achat et relance l'activité. Mais si les mêmes 100 $ sont délocalisés de la France vers l'Asie, alors le bilan est une perte nette de 20 $ (les - 100 $ sont sous-compensés par + 80 $) , car notre marché du travail est trop rigide (les travailleurs licenciés n'acceptent pas un emploi moins rémunéré où éloigné) et la libération de pouvoir d'achat profite pour une trop grande part aux importations.

- Que faire ? Un quasi-consensus semble régner quant au diagnostic de compétitivité et quant aux remèdes, pour la plupart proposés dans le rapport Gallois. Une majorité (sinon LA majorité !) s'accorde à penser qu'il faut réduire les coûts, reprendre la désinflation compétitive, créer un écosystème plus favorable aux entreprises, restaurer un climat de confiance propre à susciter et attirer l'investissement (ce qui sera le plus difficile vis-à-vis de l'international, à la suite des mesures prises depuis six mois), encourager une montée en gamme de l'industrie, revoir la fiscalité par un transfert des charges sociales vers la TVA, favoriser la synergie entre recherche publique et recherche privée, agir en amont au niveau de l'éducation et de la formation, etc.

- Seuls deux aspects échappent au consensus : le pacte social et le rôle de l'État. Sur le premier point, B.C. souligne que si elle est indubitablement opportune en période de crise, la représentation salariale dans les conseils d'administration produit moins d'effets bénéfiques dans des périodes de conjoncture moyenne, durant lesquelles le souci de ne pas mécontenter pourrait conduire les dirigeants à faire la preuve d'un excès de prudence et d'un défaut d'initiative. Sur le second point, B.C. - tout comme moi-même et je l'espère quelques autres ! - ne partage pas la philosophie de "colbertisme participatif" ardemment prônée par Arnaud Montebourg, car celle-ci tend à rabaisser l'économique au rang de vassal du politique : pour le Ministre, acheter made in France ou sécuriser les emplois menacés, c'est avant tout préserver la souveraineté nationale ; sa préoccupation première n'est donc pas l'efficacité... or l'efficacité voudrait notamment que, sur le marché du travail, on œuvre à la flexibilité des emplois davantage qu'à leur sécurisation !

- À propos de l'État stratège, il n'est certes pas illégitime que les pouvoirs publics interviennent sur l'économie en tant que régulateur, afin de corriger des inefficacités auxquelles la concurrence pourrait conduire si elle opérait seule. Notamment, la pression croissante des préoccupations environnementales se traduira sans nul doute par des contraintes sur le libre fonctionnement des marchés. Sans guide, le marché n'anticipe pas à un horizon de vingt ans ! Mais ce qu'il faut à tout prix éviter, c'est de confondre la nécessité d'une intervention publique ciblée et justifiée avec la tentation d'un dirigisme permanent ! Exemple concret, pour favoriser l'exportation des PME, mieux vaudrait que la puissance publique s'attache à changer la culture des entrepreneurs en agissant au niveau de l'Éducation plutôt qu'elle procéde répétitivement par la voie législative à une série de mesurettes en cascade et sans effets pérennes.

- Le mot de la fin : vaincre la peur de l'avenir, combattre la résistance au changement, rétablir la confiance, changer la culture, sont les conditions nécessaires d'un redressement de la compétitivité, lui même condition nécessaire pour que la France conserve son rang d'acteur dynamique au sein de l'Europe. Seul le fond importe et les questions de vocabulaire, bien qu'elles nourissent trop souvent les débats, ne sont qu'accessoires : choc de compétitivité, ou trajectoire de compétitivité comme préfère le dire A.M., l'un et l'autre se dit ou se disent !

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